Un accueil glacial

Nous sommes fin avril 2023 et je frissonne légèrement, assise dans la maison de ma sœur dans le nord-ouest de l’Allemagne, tandis qu’elle se lamente sur le printemps très pluvieux et anormalement froid pour la saison. Mon accueil lors de cette première visite depuis le début de l’année 2019 est glacial, ne serait-ce qu’au sens propre. L’aspiration de ma sœur à des températures plus chaudes après un long hiver est compréhensible, mais l’arrivée tardive du temps chaud a également considérablement affecté son confort domestique. En effet, sa fournaise est tombée en panne pendant l’hiver.

Photo by Ankhesenamun on Unsplash
 

Vous vous demandez peut-être pourquoi elle n’a pas simplement fait réparer sa fournaise. Il se trouve que sa fournaise est tombée en panne alors que l’Allemagne traverse une crise énergétique. Le 15 avril, soit un peu plus d’une semaine avant mon arrivée, l’Allemagne a fermé ses trois derniers réacteurs nucléaires, à la suite d’une décision prise en 2011 d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire d’ici 2022 (une prolongation a été accordée jusqu’au 15 avril de cette année). Pendant des décennies, l’énergie nucléaire a fourni environ 20% ou plus de l’énergie allemande; en 2022, ce chiffre était tombé à un peu plus de 3%. Avant son invasion de l’Ukraine en février 2022, la Russie fournissait un peu plus de la moitié du gaz naturel allemand, qui représente environ un quart de la consommation d’énergie de l’Allemagne. Après l’invasion, l’Allemagne a réduit ses importations en provenance de la Russie à 25% du total, s’approvisionnant en gaz naturel sec auprès de la Norvège et des Pays-Bas, et important du gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis et du Qatar.

En plus de ces bouleversements, l’Allemagne vise la neutralité carbone d’ici 2045 et accélère la production d’électricité à partir de l’énergie éolienne, solaire et de la biomasse. D’ici 2030, elle espère que 80% de son électricité proviendra des énergies renouvelables, moins de 50 % aujourd’hui. Ce sera un défi en soi, mais seulement 40% environ de l’énergie primaire de l’Allemagne est utilisée pour produire de l’électricité. Pour atteindre la carboneutralité, l’Allemagne devra électrifier d’autres secteurs, tels que le chauffage et les transports, qui dépendent encore largement des combustibles fossiles, ce qui, outre son coût élevé, aura également des incidences sur l’environnement.

Les plans énergétiques de l’Allemagne ont entraîné une hausse des prix de l’énergie, l’incertitude et l’inquiétude chez les consommateurs, un triplement du prix des matériaux de construction et de l’agitation au sein du parlement.

Sécurité énergétique et objectifs en matière de carbone

L’Allemagne dépend fortement des importations pour satisfaire ses besoins énergétiques. En 2021, le charbon (~17,1 %), le gaz naturel sec (~26,5 %) et le pétrole et autres liquides (~34,8 %) représentaient 78,4 % de la consommation totale d’énergie. Pour ces trois catégories, le pourcentage importé était respectivement de 47%, >95% et >98%. Alors que la catégorie « nucléaire, renouvelable et autres » ne représentait que 21,6 % de l’énergie consommée, ce n’est que dans cette catégorie (essentiellement pour la production d’électricité) que l’Allemagne a pu fournir elle-même toute l’énergie qu’elle a consommée. Au total, 67 % de l’énergie consommée par l’Allemagne en 2021 a été importée.

Si vous effectuez une recherche en ligne pour savoir quel pourcentage de la consommation d’énergie de l’Allemagne provient des énergies renouvelables, la plupart des articles qui apparaissent en tête de liste vous diront qu’environ la moitié de l’électricité de l’Allemagne est fournie par les énergies renouvelables. Mais l’électricité n’est pas la même chose que l’énergie. L’électricité est générée par des sources d’énergie, qu’il s’agisse d’énergies renouvelables telles que le vent, le soleil et l’eau, ou de combustibles fossiles tels que le pétrole, le gaz naturel et le charbon. En Allemagne (et ailleurs), les combustibles fossiles restent la principale source d’énergie pour le chauffage, le transport et l’agriculture.

Le graphique suivant du parc électrogène de l’Allemagne en 2022 montre qu’obtenir 80% de son électricité à partir d’énergies renouvelables d’ici 2030 et devenir neutre en carbone d’ici 2045 ne sera pas une mince affaire, si tant est que cela soit possible. Si la consommation d’électricité devait rester au niveau actuel, il faudrait augmenter la production d’énergie électrique à partir de sources renouvelables d’environ 60%. (Étant donné que plus de la moitié de l’électricité est actuellement produite à partir de combustibles fossiles, les 30 % supplémentaires nécessaires pour passer d’une production d’électricité à partir d’énergies renouvelables de ~50% à 80% nécessiteraient que les énergies renouvelables remplacent les combustibles fossiles pour 30% de la consommation d’électricité). Toutefois, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2045, de nombreux secteurs qui dépendent aujourd’hui principalement des combustibles fossiles devraient être alimentés par l’électricité. Il s’agit notamment du chauffage des habitations, des transports et de l’agriculture.

Quelles politiques seront mises en œuvre alors que l’Allemagne s’efforce d’atteindre ces objectifs ambitieux et quel sera leur impact sur les citoyens et les résidents allemands?

Source: Clean Energy Wire,18 April 2023

Combien cela coûtera-t-il, déjà?

Ce qui nous ramène à ma sœur, dans sa maison glaciale où la fournaise au gaz est en panne. Jusqu’à récemment, elle payait 310 euros par mois pour le gaz, l’eau et l’électricité combinés. À la fin de l’année, il y aurait une rectification: elle payerait plus si sa consommation était supérieure à ce qui avait été calculé ou elle obtiendrait un remboursement si elle y était inférieure. Aujourd’hui, lui a-t-on dit, le gaz seul lui coûtera 500 euros par mois. Un euro valant environ 1,45 dollar canadien, 500 euros reviennent à environ 725$ canadiens. C’est une somme assez importante à payer chaque mois, sans compter les factures d’électricité et d’eau. Alors, voyant le printemps poindre à l’horizon (sans savoir à quel point le temps serait récalcitrant), ma sœur a décidé de tenir bon jusqu’à la fin de l’hiver, en chauffant les pièces où elle dormait et travaillait avec des radiateurs d’appoint, mais en laissant la plus grande partie de la maison dans un état digne d’un chandail.

Photo by Nataliya Vaitkevich
 

La combinaison de la précarité de l’approvisionnement en énergie et de l’attitude intransigeante de l’Allemagne à l’égard de l’objectif « carboneutralité » a entraîné une montée en flèche des prix du gaz. Environ la moitié des 41 millions de ménages allemands utilisent le gaz naturel pour chauffer leur maison, et près d’un quart le pétrole. Mais l’Allemagne prévoit d’interdire l’installation de la plupart des systèmes de chauffage au mazout et au gaz à partir de 2024 (c’est-à-dire presque immédiatement) et d’exiger que tous les systèmes de chauffage nouvellement installés fonctionnent avec 65% d’énergie renouvelable, tant dans les nouveaux bâtiments que dans les anciens, où les modèles obsolètes devront être remplacés. Les propriétaires seraient encouragés à installer des thermopompes fonctionnant avec des sources d’énergie renouvelable.

Il sera difficile de rendre les sources d’énergie renouvelable plus accessibles et de trouver les travailleurs nécessaires à leur mise en œuvre. Les thermopompes ne conviennent pas à de nombreuses habitations anciennes. Le régime devrait coûter aux contribuables allemands environ 9,16 milliards d’euros par an jusqu’en 2028, puis 5 milliards d’euros en 2029, les coûts étant compensés par l’expansion des énergies renouvelables et la réduction du coût des thermopompes grâce à la production de masse. L’Association des services publics locaux, qui régit les infrastructures municipales, demande instamment au gouvernement de prolonger la période de transition. Un sondage réalisé par l’Institut Forsa a montré que 78% des Allemands étaient opposés au plan et que 62% d’entre eux s’attendaient à une augmentation de leur facture de chauffage.

Le projet de loi visant à mettre en œuvre cette politique énergétique devait être présenté au parlement en juin. Il est défendu par le ministre de l’Économie, Robert Habeck, des Verts, et par divers groupes environnementaux, mais ses détracteurs le qualifient d’inapplicable et de discriminatoire. Les partis PDL (Parti démocratique libre) et UCD (Union chrétienne-démocrate) s’y opposent. Le PDL a insisté pour retarder la discussion parlementaire et la législation ne sera pas adoptée avant les vacances de juillet-août, comme prévu.

Le sort de la fournaise de ma sœur reste en suspens. Les fournaises à gaz plus anciennes, mais encore fonctionnelles comme la sienne seront-elles autorisées à continuer à fonctionner, ou le gouvernement allemand les éliminera-t-il progressivement en adoptant des mesures plus strictes à l’approche de la journée « carboneutralité » ? Il ne sert à rien de réparer quelque chose qui sera bientôt sur la sellette. Le bon côté des choses, c’est que le temps chaud est arrivé et qu’elle peut travailler dans son jardin en attendant la décision du gouvernement.

Est-ce que je viens de vivre un présage d’effondrement?

Il m’est apparu, alors que j’étais assise dans la maison froide de ma sœur, que l’effondrement ne se produirait probablement pas d’un seul coup. Il pourrait ressembler davantage à un long gémissement qu’à une explosion. Une myriade de crises, de conflits, de difficultés et de désagréments se présenteront à des moments différents, avec des degrés de gravité variables, dans différentes parties du monde. Je fais partie de ceux qui pensent que nous sommes actuellement à un certain stade d’effondrement. Les choses pourraient progresser lentement jusqu’à ce qu’un point de basculement soit atteint, qui ne pourrait être déterminé qu’a posteriori. Par rapport à ce que l’avenir pourrait nous réserver, une maison froide ne vaut peut-être pas la peine d’être mentionnée. Un désagrément – peut-être majeur – mais pas une crise. Du moins, pas encore.

Dans quelle mesure l’idée que notre société techno-industrielle, fortement dépendante des combustibles fossiles, puisse être neutre en carbone dans 22 ans est-elle réaliste? Et le « remède » pour y parvenir sera-t-il pire que la « maladie » des émissions? Le graphique du bouquet énergétique ci-dessus montre qu’en 2022, l’Allemagne tirait 79% de son énergie des combustibles fossiles (pétrole 35,2%, gaz naturel 23,8%, houille 9,8%, lignite 10,0%) et 3% supplémentaires de l’énergie nucléaire, aujourd’hui abandonnée. L’empressement de l’Allemagne à abandonner les combustibles fossiles ressemble un peu à une version ralentie de l’interdiction des engrais azotés par le Sri Lanka il y a quelques années. Cela ne s’est pas bien passé.

Photo by Timusic Photographs on Unsplash
 

L’éolien et le solaire, sources d’énergie prétendument vertes, nécessitent des opérations d’extraction et de traitement des composants qui perturbent l’environnement et la fabrication du produit final; toutes requièrent des combustibles fossiles. Les panneaux solaires prennent beaucoup de place et les éoliennes tuent les oiseaux, les chauves-souris et les insectes. La construction des fondations des éoliennes dans l’océan met en danger les baleines et d’autres espèces marines, et l’impact des éoliennes sur les oiseaux de mer sera difficile à évaluer. Enfin, à ce jour, ces sources d’énergie renouvelables sont loin de répondre aux besoins énergétiques.

Existe-t-il une stratégie cohérente? 

Un journaliste a demandé à Gerrit Niehaus, responsable de la sûreté nucléaire au ministère allemand de l’Environnement, de résumer en une phrase les leçons à tirer de l’ère atomique du pays. « Il faut bien penser les choses jusqu’au bout à l’avance, » a-t-il répondu.

D’excellents conseils, si rarement suivis!

Alors que les travailleurs (et pas seulement en Allemagne) subissent de plein fouet la hausse des prix de l’énergie et de tous les autres produits (car tout dépend de l’énergie), la croissance reste le paradigme selon lequel les décisions économiques sont prises dans le monde industrialisé.

En 2021, le Canada s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2050, alors même qu’il augmentait son taux d’immigration, déjà élevé, à des niveaux stratosphériques, de sorte qu’un million de personnes sont arrivées en 2022. Le taux de croissance du Canada n’est égalé par aucun pays développé et il a même dépassé le taux de croissance démographique de l’Afrique.

Grâce à cette politique d’immigration, le Canada a franchi le cap des 40 millions d’habitants le 16 juin dernier. Mais chaque nouvel arrivant au Canada, comme chaque personne résidant déjà dans le pays, est un émetteur de gaz à effet de serre. La plupart des nouveaux Canadiens arrivent de climats plus chauds et en venant ici ils multiplient en moyenne par quatre leurs émissions de gaz à effet de serre.

Les décideurs fédéraux qui élaborent les politiques de neutralité carbone semblent incapables de comprendre que l’augmentation rapide de la population par l’immigration tout en faisant la guerre aux émissions de carbone est contradictoire. (Ce qui devrait soulever la question de savoir qui profite de cette politique). Les municipalités adoptent des « villes 15-minutes » et un zonage qui permet un habitat beaucoup plus dense avec beaucoup moins de places de stationnement. Tout cela pour le bien de la planète, bien sûr. Mais quelqu’un s’est-il demandé en quoi cette croissance est bénéfique pour les citoyens que les politiciens sont censés servir?

Tant que les femmes et hommes politiques prendront leurs décisions dans le cadre du paradigme de la croissance perpétuelle, les politiques qui en résulteront seront souvent arbitraires et irréalistes. Mais les conséquences de ces politiques affecteront profondément la qualité de vie des personnes qu’ils sont censés représenter. Heureusement pour nos décideurs, ils sont protégés des conséquences de leurs propres décisions grâce à leur revenu, à leur pension indexée garantie et, souvent, à un coussin de richesse.

Il semble qu’aucun responsable ne tienne compte du conseil de Gerrit Niehaus: « Il faut bien penser les choses jusqu’au bout à l’avance. »

Photo by cottonbro studio
Madeline Weld, Ph.D.
Présidente, Institut canadien de la population
Tél.: (613) 833-3668
Courriel: [email protected]
www.populationinstitutecanada.ca
Vous pouvez contribuer à la sensibilisation aux impacts environnementaux de la croissance démographique au Canada et dans le monde en partageant nos articles. Merci de votre soutien!