En 2001, j’ai assisté à des séances lors d’une conférence démographique à Ottawa. J’ai été étonnée lorsqu’un conférencier de Statistique Canada a dit que l’immigration n’avait pratiquement aucune incidence sur la structure par âge du Canada. Même à l’époque, après une décennie d’immigration annuelle élevée lancée en 1990 en tant que politique gouvernementale par la ministre de l’Immigration de Brian Mulroney, Barbara McDougall, l’immigration était présentée comme une solution au vieillissement de la population.

Le gouvernement progressiste-conservateur de Mulroney tomba en 1993, mais tous les gouvernements, libéraux ou conservateurs, qui lui ont succédé ont poursuivi la politique de McDougall d’immigration élevée indépendamment des conditions économiques. Et la ritournelle de la « population vieillissante » est devenue une partie intégrante du récit utilisé pour justifier cette politique comme étant dans l’intérêt des Canadiens.

Mais l’argument selon lequel une immigration élevée pourrait être une « solution » à un faible taux de natalité (basé sur le paradigme économique du système de Ponzi de croissance continue) n’a jamais été soutenu par des données réelles. Malheureusement, la réalité ne fait pas obstacle à ceux qui profitent de l’immigration de masse.

Les études concordent toutes : l’immigration ne peut pas rajeunir le Canada

Le démographe Rod Beaujot, professeur au Département de sociologie de l’Université Western, a rédigé un nombre de documents de travail sur l’impact de l’immigration au Canada. Dans un document de 2003, il a fait valoir que l’immigration ne pouvait pas empêcher une augmentation de la population âgée de 65 ans et plus en tant que ratio de la population âgée de 20 à 64 ans.

En 2006, l’Institut C.D. Howe a publié une étude intitulée « No elixir of youth : immigration cannot keep Canada young » (Pas d’élixir de jeunesse : l’immigration ne peut pas garder le Canada jeune). Il a conclu que l’immigration ne pouvait pas faire grand-chose pour atténuer les conséquences probables du vieillissement sur la structure par âge et les finances publiques du Canada. Afin de maintenir le rapport de dépendance actuel, le Canada devrait augmenter considérablement l’immigration et, d’ici 2050, il compterait 7 millions d’immigrants par année et notre population serait de 65 millions d’habitants.

Le rapport de dépendance est le nombre de travailleurs (âgés de 15 à 64 ans) pour chaque personne âgée de plus de 65 ans ou de moins de 14 ans. Bien sûr, beaucoup d’aînés sont en bonne santé, productifs et autonomes, et certains sont encore au travail. La définition du rapport de dépendance peut nécessiter une certaine mise à jour.

En 2007, Shirley Loh (Division de la démographie de Statistique Canada) et M.V. George (Département de sociologie, Université de l’Alberta, Edmonton) ont publié un article intitulé « Projected population size and age structure for Canada and provinces : with and without international immigration » (Taille de la population et structure par âge projetées pour le Canada et les provinces : avec et sans immigration internationale).

Il a constaté que tandis que l’immigration apportait une contribution de plus en plus importante à la croissance de la population canadienne, elle n’avait pas eu et ne prévoyait pas avoir d’incidence majeure sur la structure par âge du Canada ou sur le rapport de dépendance.

Le temps a révélé la justesse de ces prévisions. Trente-quatre années d’immigration élevée et constante n’ont pas eu beaucoup d’impact sur la structure d’âge de la population canadienne.

 

Document de consultation de Jason Kenney de 2012

En 2012, lorsque Jason Kenney était ministre de l’Immigration sous Stephen Harper, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a publié ses conclusions sur les consultations menées au cours de l’année précédente auprès des « intervenants » et du public. Les principaux « intervenants » de ces consultations étaient les intérêts commerciaux et les organismes au service des immigrants. Les membres du public n’étaient pas considérés comme des intervenants, malgré l’impact majeur de l’immigration sur leur pays. Bien que les intervenants aient été invités à assister à plusieurs tables rondes à l’échelle du Canada en plus des consultations en ligne, les seuls commentaires offerts au public étaient en ligne.

Il n’est pas surprenant que les intervenants et les particuliers aient exprimé des réponses différentes. La majorité des intervenants voulaient augmenter le niveau d’immigration ou du moins, le maintenir à 250 000, tandis que près de la moitié des individus qui ont répondu voulaient le réduire. Il n’est pas surprenant non plus que le document reflète l’hypothèse du gouvernement selon laquelle l’immigration est essentielle à la prospérité du Canada.

Néanmoins, il ressort clairement du document que les décideurs savaient que l’immigration n’avait pas d’incidence sur la structure par âge. À la page 49 du document de 94 pages, il est indiqué qu’en 2009-2010, le nombre de naissances a dépassé le nombre de décès de 134 000, tandis que le solde migratoire international (entrées et sorties de migrants permanents et temporaires et de personnes nées au Canada) a contribué environ 255 000 personnes à la population et a représenté environ les deux tiers de la croissance. Ceci est suivi du passage ci-dessous :

« Cela dit, la recherche souligne que l’immigration n’est pas un remède viable au vieillissement de la population. Une étude réalisée en 2009 [sic, l’étude a été faite en 2006] par l’Institut C.D. Howe conclut qu’une augmentation improbablement énorme de l’immigration (c.-à-d. de 0,8 % à près de 4 % de la population) à court terme serait nécessaire pour stabiliser le rapport actuel de dépendance des personnes âgées au Canada. »

Le document reconnaît que « le nombre de départs à la retraite de la population active augmente, ce qui reflète actuellement le « gonflement » des baby-boomers vieillissants » (p. 49). Ce gonflement ne serait-il pas alors simplement un phénomène transitoire alors que la cohorte surdimensionnée de baby-boomers prend sa retraite et rend l’âme, un peu comme un énorme bolus de nourriture passe à travers le corps d’un serpent? À bien des égards, ce « baby-boom » est un phénomène mondial qui s’estompera à différents moments dans différentes régions en fonction de la vitesse à laquelle les taux de fécondité chutent, mais dans tous les cas reflétant l’augmentation spectaculaire de la population mondiale au cours du 20e siècle.

Pourquoi alors le gouvernement continuerait-il à mettre en œuvre une politique d’immigration de masse? La réponse peut être résumée dans cet extrait (p. 49) :

« À mesure que la croissance naturelle de la population au Canada ralentit, avec des taux de fécondité inférieurs au niveau de remplacement, l’immigration sera une source de plus en plus importante de croissance de la population et de la main d’oeuvre. »

Aha – la population et la main-d’œuvre doivent croître! Mais pourquoi? C’est ce paradigme économique maudit de croissance économique continue pour toute l’éternité. La raison d’être de l’Institut canadien de la population est de promouvoir la sensibilisation au fait que la poursuite de la croissance perpétuelle est la voie vers le dépassement et l’effondrement éventuel.

Ils savent que c’est un mensonge

Le document de consultation de Jason Kenney de 2012 contient un graphique (p. 67) montrant le nombre de nouveaux résidents permanents chaque année de 1860 à 2009. Le graphique montre une série de pics et de creux. Il y a eu une forte baisse des niveaux d’immigration dans les dernières décennies du 19e siècle et une chute pendant les années de dépression des années 1930 et les années de guerre du début des années 1940. La forte hausse au début du 20e siècle s’est produite pendant que les Grandes Prairies étaient en train de s’établir. Un pic plus faible a suivi la Seconde Guerre mondiale, avec un pic en 1957 lorsque le Canada a accepté 37 500 réfugiés hongrois à la suite du soulèvement hongrois d’octobre 1956. Après cela, des hausses et des creux plus faibles sont observés jusqu’en 1990.

 

Graphique montrant les pics et les creux historiques du nombre de résidents permanents arrivant au Canada

Ces pics et creux historiques révèlent le mensonge qui est implicite dans le mantra des dernières décennies selon lequel « le Canada est un pays d’immigrants ». Ce mensonge implicite est que le Canada a TOUJOURS eu des niveaux très élevés d’immigration. La vérité, c’est qu’historiquement, la croissance du Canada a été principalement attribuable à l’accroissement naturel (personnes ayant des bébés) et non à l’immigration. En fait, au cours de quatre décennies de la fin du 19e siècle, plus de gens ont quitté le Canada que de personnes sont venues ici pour s’établir. En l’absence d’un État-providence ou de généreux services d’établissement gouvernementaux, de nombreux immigrants potentiels ont découvert que le Canada est un pays froid où la vie peut être dure et sont retournés en Europe ou ont déménagé aux États-Unis.

Le mensonge selon lequel l’immigration de masse peut contrer notre population vieillissante (contrairement à toutes les études réelles sur le sujet) a été promu avec le mensonge selon lequel le succès du Canada a toujours dépendu de niveaux élevés d’immigration.

Alors, pourquoi Barbara McDougall a-t-elle accéléré l’immigration?

En 1990, la ministre de l’Immigration de Brian Mulroney, Barbara McDougall, a mis en œuvre une cible de 250 000 nouveaux arrivants chaque année, année après année, peu importe les conditions économiques. L’incidence de sa politique est visible sur le côté droit du graphique ci-dessus, montrant les niveaux annuels constamment élevés (à de rares exceptions près) des nouveaux résidents permanents après 1990.

Mais McDougall a admis que l’accélération de l’immigration n’était pas vraiment une question d’économie. Alors même que les économistes avertissaient que les avantages économiques d’une augmentation aussi rapide, une augmentation importante et permanente des niveaux d’immigration était, au mieux, discutable et que le ministre des Finances, Michael Wilson, soulevait des préoccupations au sujet des coûts supplémentaires pour le gouvernement fédéral pour les programmes sociaux et d’autres dépenses, McDougall a articulé la pensée vague derrière sa nouvelle politique proposée : «… ce qui n’apparaît pas dans les mesures économiques, c’est l’énergie, l’optimisme, la capacité de travailler fort et toutes ces choses que les immigrants apportent d’où qu’ils viennent… Je ne pense pas que vous puissiez mesurer cela, quoi que les universitaires puissent dire ».

De toute évidence, l’énergie, l’optimisme et la capacité de travailler fort ont dû être déficients chez les résidents canadiens, malgré le fait que ce sont leurs ancêtres qui ont créé le pays qui allait devenir une destination souhaitée pour les gens du monde entier. Ensuite, il y a le fait que, pour citer McDougall, « le temps est révolu depuis longtemps où les immigrants ou un groupe particulier sont captifs d’un parti politique ». Elle faisait référence à la tendance des nouveaux arrivants à favoriser le Parti libéral, le parti qui avait élargi la source de migrants du Canada, dont plus de 90% sont arrivés d’Europe et des États-Unis jusqu’en 1971, pour inclure le monde entier, et avait introduit le concept de multiculturalisme. Comme on pouvait s’y attendre aujourd’hui, elle a laissé entendre que certaines des préoccupations exprimées au sujet de l’impact social de l’intégration d’un grand nombre de personnes d’horizons très différents équivalaient à du racisme.

 

La source des immigrants nés à l’étranger au Canada a changé radicalement entre 1871 et aujourd’hui   https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-630-x/11-630-x2016006-fra.htm
 

Mais il semble que la ministre McDougall n’ait pas seulement été motivée par des visions idéalistes de l’actualisation de la fraternité de l’homme au Canada. Il est explicitement indiqué dans le sous-titre de l’article du Globe and Mail du 24 octobre 1990 que les conservateurs espéraient commencer à attirer les votes des immigrants en ouvrant les portes du Canada aussi larges que possible sur le plan économique et socialement toléré : « La ministre voit une nouvelle source d’électeurs pour les conservateurs. »

La politique d’immigration de McDougall, conçue avec peu de considération pour l’impact économique et aucune pour d’éventuelles conséquences sociales ou environnementales, a été suivie par tous les gouvernements successifs, quel que soit le parti, depuis 1990. Ce serait une année rare que l’admission de résidents permanents chuterait jusqu’à 200 000, et il était généralement significativement plus élevé. De plus, l’objectif de 250 000 fixé par McDougall ne s’appliquait qu’aux résidents permanents. D’autres catégories de nouveaux arrivants (travailleurs étrangers temporaires, étudiants et réfugiés) qui arrivent chaque année porteraient le nombre total de nouveaux arrivants annuels à plus de 300 000.

Le détachement de Justin Trudeau de la réalité fait que la réalité s’écrase sur les Canadiens

Sous Justin Trudeau, qui a exprimé en 2015 sa vision d’un Canada « postnational » à un journaliste du New York Times, la politique d’immigration s’est tellement éloignée de la réalité biophysique qu’elle fait passer Barbara McDougall pour une penseuse profonde. Comme le montre le graphique du démographe Don Kerr, l’accueil de toutes les catégories confondues de nouveaux arrivants a explosé sous Trudeau (en fait, la barre de 2022 est basse, l’accueil réel cette année-là était de plus d’un million). Les ministres de l’immigration successifs de M. Trudeau ont constamment augmenté l’objectif annuel de nouveaux arrivants jusqu’à ce que son gouvernement crée une crise du logement si grave qu’elle a sorti les Canadiens de leur acceptation somnolente du récit selon lequel l’immigration de masse est un élément déterminant de leur identité même. Les Canadiens commencent à comprendre que, s’ils paient les coûts de l’immigration de masse, les principaux bénéficiaires sont les fournisseurs de prêts hypothécaires, les spéculateurs, les promoteurs et les entreprises de main-d’œuvre bon marché. Les coûts que les Canadiens doivent payer ne sont pas seulement financiers, en termes d’impôts fédéraux, provinciaux et municipaux, de logements inabordables et de hausse des prix des denrées alimentaires. La croissance et la densification imposée détruisent leur mode de vie.

 

Croissance annuelle de la population au Canada, présentée par Don Kerr. https://thehub.ca/2024/04/26/don-kerr-population-growth-is-exploding-heres-why/

L’idiotie même de la lutte contre le vieillissement

John Meyer, de Canadians for a Sustainable Society , écrit qu’en 2022, la population canadienne cessa brièvement de vieillir, une première depuis 1971 et un « succès » de la politique d’immigration massive du Canada. Alors que l’âge médian des personnes vivant au Canada était de 41,0 ans en 2021, il avait baissé d’un énorme 0,4 an (4,8 mois) en 2023 pour atteindre 40,6 ans. Mais quel a été le prix à payer pour rajeunir la population du Canada de moins d’une demi-année ?  Meyer énumère et discute les coûts suivants de cette réussite démographique :

  • Un nombre record de logements inabordables
  • Perte record de terres agricoles
  • Augmentation des émissions de gaz à effet de serre
  • Endettement record
  • Déclin des soins de santé
  • Emplois de mauvaise qualité
  • Baisse de l’égalité
  • Des niveaux de désespoir jamais atteints chez les jeunes

Il devient évident pour beaucoup que les politiques du Canada visant à lutter contre le vieillissement de la population sont erronées. Ou, comme le dit Meyer, elles sont « purement et simplement idiotes ».

Avec la baisse des taux de natalité et le ralentissement, voire l’inversion, de la croissance démographique dans le monde, la population mondiale des personnes âgées augmentera inévitablement jusqu’à ce que les personnes nées au cours de la période de croissance rapide du20e siècle décèdent. Autre que d’aider la nature à dispatcher ces personnes âgées il n’y a aucun moyen de contourner ce problème. Mais plutôt que de feindre le choc face à l’impact que cela aura sur la croissance économique, comme le font tant de politiciens et d’économistes, Meyer note qu’il y aura des avantages :

  • des salaires plus élevés pour les jeunes
  • des niveaux d’emploi plus élevés pour les jeunes
  • des logements plus abordables
  • une consommation plus faible
  • pas de besoin d’infrastructures supplémentaires
  • l’accent passe du « plus » au « mieux »
  • moins de consommation matérielle de la part de la population plus âgée
  • moins de besoin de ressources en dehors de ses propres frontières

Le vieillissement de la population est inévitable, il s’agit d’un phénomène temporaire et, en tant qu’étape inéluctable pour parvenir à une population durable, il s’agit d’une évolution positive. Les Canadiens ne doivent pas laisser des craintes exagérées concernant le « vieillissement de la population » les pousser à accepter des niveaux d’immigration qu’ils n’ont jamais demandés et qui ne sont pas fixés en fonction de leur bien-être.

Trente-quatre années d’immigration massive n’ont pas encore eu d’impact perceptible sur la structure d’âge du Canada. Il n’y a aucune raison de penser que la poursuite de la même politique donnera un résultat différent. Il est temps de mettre fin à ce mensonge.
 

Photo par Eleonora Francesca Grotto sur Unsplash
 

Madeline Weld, Ph.D.
Présidente, Institut canadien de la population
Tél.: (613) 833-3668
Courriel: [email protected]
www.populationinstitutecanada.ca

 

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