(Ancien proverbe arabe: Les chiens aboient, mais la caravane passe)

Ignorer l’enjeu fondamental

Maman, je peux aller me baigner?
Oui, ma fille chère.
Accroche tes vêtements à une branche de noyer
Et ne t’approche pas de la mer.

Ce petit poème anonyme me vient à l’esprit lorsque je lis les efforts de plaidoyer de divers groupes environnementaux et anti-étalement urbain. L’absurdité évidente du poème est qu’il est impossible de sortir se baigner sans aller dans l’eau. Par conséquent, la permission de la fille d’aller nager est vidée de son sens par la condition imposée de se tenir éloignée de la mer.

Dans le cas des groupes environnementaux, leur plaidoyer en faveur de la conservation de la nature est miné par leur refus de parler de la croissance démographique, alors que l’arrêt de cette croissance est le seul moyen efficace de stopper l’étalement urbain et de préserver la nature à long terme.

Ce sont les profiteurs de la croissance qui récoltent les bénéfices de cette autocensure.

La baisse du taux de natalité et la croissance démographique au Canada

La population du Canada, qui s’élève à près de 40 millions d’habitants, est plus de deux fois supérieure à ce qu’elle était en 1975, lorsque l’indice synthétique de fécondité est passé sous la barre des 2 enfants par femme et a poursuivi sa tendance à la baisse pour atteindre son niveau actuel de 1,4. Malgré 50 ans de faible fécondité, le taux de croissance annuel du Canada, qui oscille autour de 1 %, est le plus élevé des pays du G7. La croissance rapide du Canada a été stimulée par l’immigration. Avec une migration équilibrée, où les niveaux d’immigration correspondent approximativement au niveau d’émigration, la population du Canada se serait stabilisée à environ 27 millions.

Le premier coup de pouce au niveau d’hypermigration des 33 dernières années est survenu en 1990 sous le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, lorsque sa ministre de l’immigration, Barbara McDougall, a porté l’objectif annuel à 250 000 par an. Ce niveau très élevé a été maintenu par tous les gouvernements subséquents. En 2017, Ahmed Hussen, alors ministre de l’Immigration du premier ministre Justin Trudeau, a annoncé que l’accueil pour les trois années suivantes augmenterait annuellement pour atteindre 340 000 en 2020. Ce plan a été déraillé par la Covid, mais pas pour longtemps. En 2022, le ministre de l’Immigration Sean Fraser a annoncé des objectifs d’augmentation annuelle pour les trois années suivantes, avec 500 000 arrivées prévues en 2025.

Il est interdit de contester le moteur de la destruction de l’environnement

L’ajout, au cours des dernières décennies, d’environ dix millions de personnes à la population du Canada par le biais de l’immigration a eu un impact environnemental important. La plupart des immigrants s’installent dans les plus grandes villes du Canada. Pendant longtemps, la région du Grand Toronto a accueilli environ la moitié de tous les nouveaux arrivants, et la majorité d’entre eux s’installent encore dans le sud-ouest de l’Ontario.

Cette croissance a eu un impact énorme sur les terres agricoles et l’habitat faunique de la région. Dans son rapport annuel 2004-2005 intitulé Planning Our Landscape, publié en novembre 2005, Gord Miller, alors commissaire à l’environnement de l’Ontario, a osé remettre en question la nécessité de la croissance et a mis en garde contre la pression que la croissance démographique future exercerait sur l’environnement, en particulier dans le sud de l’Ontario et sur les terres de la ceinture verte du Golden Horseshoe où la plupart des nouveaux arrivants s’installent.

« Même avec des densités de développement plus élevées, c’est un grand nombre de personnes qui s’installent dans un paysage déjà stressé. Les demandes qui en résultent en matière d’eau, de réseaux d’égouts, de routes, de couloirs de services publics, d’agglomération et d’expansion urbaine laisseront-elles intacts nos campagnes protégées et nos systèmes de patrimoine naturel? Y aura-t-il suffisamment de terres naturelles pour soutenir la biodiversité? » (p. 5 du rapport)

Photo par Chris Hunter sur Unsplash
 

Pour cela, il a été attaqué brutalement par les médias lors de sa conférence de presse, où il a été accusé d’être anti-immigrant.  « Est-ce que vous appelez à une réduction de l’immigration? » a demandé un journaliste. Non. « Dites-vous que tous les nouveaux immigrants devraient déménager dans le nord de l’Ontario? » Non. « Dites-vous que l’ère de la maison unifamiliale est terminée? Êtes-vous en train de dire aux nouveaux immigrants qu’ils ne peuvent pas rêver d’avoir leur propre maison ? »

Après avoir été harcelé, il a déclaré à un journaliste que les immigrants pourraient déménager dans le nord de l’Ontario pour résoudre le problème de surpopulation de la région du Grand Toronto. Ce clip a été diffusé plusieurs fois sur toutes les chaînes d’information locales. La CBC a diffusé une réponse de la conseillère municipale Maria Augimenti demandant la démission de Miller. M. Miller a déclaré: « Si les gens lisent vraiment le rapport [ils constateront que] la seule chose qu’il contient sur l’immigration est qu’il s’agit d’un autre élément de la croissance démographique et qu’il est sous contrôle fédéral. C’est tout ».

Fait révélateur, lorsqu’on lui a demandé si la croissance démographique et la croissance économique qui en découle devaient l’emporter sur la durabilité environnementale, l’inquisiteur principal de la raclée de Miller, Ian Urquhart, a refusé de répondre. « C’est une bonne question. Je ne pense pas que je vais y répondre, » a répondu Urquhart. Et il ne voulait manifestement pas que quelqu’un d’autre la pose. À l’époque comme aujourd’hui, le récit des collectivités ontariennes en pleine croissance ne devait pas être perturbé par des questions sur l’impact biophysique de la croissance. Selon le Ontario Farmland Trust, l’Ontario perd actuellement 319 acres de terres agricoles chaque jour.

Photo par Jannis Knorr: Pexels
 

Malgré le lien évident entre la croissance démographique et la détérioration de l’environnement, les groupes environnementaux se sont abstenus de suggérer que la stabilisation de la population du Canada ferait grandement avancer leur cause, qu’il s’agisse de sauver des terres agricoles, des terres humides ou des forêts, d’empêcher le développement de certaines régions, de protéger les ressources aquatiques, de réduire la pollution ou de toute autre chose. Peut-être sont-ils silencieux parce qu’ils craignent d’être traités comme Gord Miller. Il est à noter que pas un seul groupe environnemental n’a pris la défense de Miller après l’assaut des médias.

Quelle que soit la raison de leur silence, les groupes environnementaux sont tout à fait satisfaits d’ignorer le fait gênant que chaque ville qui a grandi s’est également étendue. La croissance intelligente était présentée comme une solution à l’époque où M. Miller a produit son rapport, et depuis lors, Toronto s’est étendue en hauteur et vers l’extérieur. Contrairement à la preuve que la croissance démographique actuelle est de loin le principal moteur de l’étalement urbain, le mantra reste que « comment nous grandissons » est ce qui est important, et non le fait que nous continuons à grandir. La solution à nos problèmes reste la « croissance intelligente » et la « densification ». Tout ira bien si nous les entassons et les empilons. Ce sont ces riches gens dans de grandes maisons qui sont le vrai problème.

Photo par Quintin Gellar: Pexels
 

Le premier ministre Doug Ford crève le ballon des illusions environnementales

Tôt ou tard, le prétexte selon lequel une croissance simple et continue était compatible avec la conservation devait se heurter à la réalité. C’est ce qu’a fait le premier ministre Doug Ford, élu en 2018, qui n’a probablement jamais rencontré un bulldozer qu’il n’aimait pas. En 2021, Ford a choqué les groupes environnementaux avec le Projet de loi 257, la Loi soutenant l’expansion de la large bande et des infrastructures, qui proposait des modifications à la Loi sur l’Aménagement du territoire de la province permettant aux arrêtés ministériels de zonage (AMZ) de passer outre aux dispositions clés de cette loi et de permettre le développement dans les zones protégées à l’extérieur de la ceinture verte. Mais ce n’était pas tout.

Dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler son projet « Le pavage de l’Ontario, » le premier ministre Ford voulait également étendre le réseau routier de l’Ontario pour répondre à la croissance. Le Projet d’autoroute 413, qui formerait un arc de cercle dans la partie nord-ouest de la région du Grand Toronto et détruirait une grande partie de la nature sur son passage, est particulièrement contesté. La ceinture verte du Golden Horseshoe, dans le sud-ouest de l’Ontario, a été la prochaine cible de M. Ford, avec le Projet de loi 23, visant à accélérer la construction de plus de logements, 2022. Et, pour aider à faire face aux conseils municipaux qui posent parfois des questions gênantes sur les projets de développement, M. Ford a déposé le Projet de loi 39, sur l’amélioration de la gouvernance municipale, 2022, et les Règlements de la Loi sur les maires forts et la construction de maisons, qui, entre autres choses, affaiblissent la protection des terres agricoles et permettent aux maires de Toronto et d’Ottawa, les deux plus grandes villes de la province, d’adopter ou de modifier des règlements avec seulement un tiers des voix de leurs conseils.

Photo par Jiyoung Kim: Pexels
 

Tout ce déluge de lois vise à faire construire 1,5 million de logements en 10 ans, un objectif qui a peu de chances d’être atteint. En vertu du projet de la Loi 23, les frais que les promoteurs paient pour construire de nouveaux ensembles de logements abordables seront gelés, réduits ou exemptés. Selon l’Association des municipalités de l’Ontario, il pourrait manquer 5 milliards de dollars aux municipalités, ce qui devra être compensé par une augmentation des taxes municipales. Il ne fait aucun doute que les propriétaires actuels, dont bon nombre ont contracté de lourdes hypothèques, seront ravis de contribuer aux coûts de logement de leurs futurs nouveaux voisins.

Doug Ford a justifié son intention de construire sur la Ceinture de verdure en disant que la crise du logement s’est aggravée et s’aggravera en raison de l’immigration. Il a dit qu’il accueillait favorablement l’annonce du gouvernement fédéral de faire venir 500 000 personnes par an d’ici 2025, mais si des centaines de milliers de nouveaux arrivants supplémentaires par an commencent à arriver en Ontario, il n’y aura pas d’endroit pour les loger.

Il semble étrange que, malgré la crise du logement dans sa province, Ford célèbre l’arrivée de centaines de milliers de nouveaux arrivants chaque année. Mais peut-être a-t-il appris sa leçon sur le fait de ne pas remettre en question la vache sacrée qu’est l’immigration lorsqu’il a été attaqué par ses adversaires politiques pendant la campagne électorale de 2018 pour avoir suggéré que l’Ontario devait « prendre soin des nôtres » avant de pousser les immigrants à s’installer dans le nord de la province. Quoi que l’on puisse penser de ses méthodes dictatoriales pour faire face à la croissance imposée par le gouvernement fédéral (et de son refus de remettre en cause cette croissance), Ford a raison de dire que les 500 000 nouveaux arrivants qui immigrent chaque année au Canada doivent vivre quelque part.

Photo par Deane Bayas: Pexels 
 

L’Ontario a atteint un point où il faut prendre des mesures énergiques concernant la destination de la majorité des nouveaux arrivants au Canada. L’impact de la croissance démographique découlant de l’hyperimmigration est de plus en plus difficile à atténuer, car les habitats fauniques, les espaces verts urbains et les terres agricoles tombent sous le coup de l’urbanisation. On pourrait espérer que cette sombre réalité inciterait les groupes environnementaux et anti-étalement à reconnaître le lien inextricable entre la croissance inexorable et l’étalement urbain, mais ils restent dans un état de déni. Le Parti vert a même accusé Ford de « dresser les nouveaux arrivants contre la Ceinture verte« .

Dans un éditorial du 22 novembre 2022, le Globe and Mail, le journal le plus largement distribué au Canada, a qualifié les récents projets de loi adoptés ou proposés par le gouvernement Ford de « coup au cœur de la démocratie. » Ford et le maire de Toronto, John Tory (qui a démissionné récemment), qui a soutenu et même proposé la loi sur le « maire fort, » « ne travaillent pas pour le peuple, » affirme l’éditorial. Il s’agit du même Globe and Mail qui, pendant deux années consécutives, a accueilli un webinaire de l’Initiative du siècle, qui fait pression pour que la population canadienne atteigne 100 millions d’habitants d’ici 2021. Est-ce que cela travaille pour le peuple canadien ?

Du silence au syndrome de Stockholm ?

En Ontario, le discours selon lequel une croissance sans étalement urbain est possible vient d’être écrasé par la réalité physique de la croissance. Le premier ministre Doug Ford, avec ses projets de loi favorisant le développement, est le méchant évident, mais seuls ceux qui croient à la magie pensent que ce qui se produit plus tôt avec Ford ne se produirait pas plus tard, peu importe qui était aux commandes.

Malheureusement, la dure confrontation avec la réalité que Doug Ford a infligée à l’Ontario avec sa législation « ouverte aux affaires » (mais pas à la nature) n’a pas suffi à faire sortir les groupes environnementaux autodéclarés de leur stupeur de croissance intelligente.

Photo par Robert Beriault
 

Un groupe d’encadrement nouvellement formé composé de groupes environnementaux et civiques et de particuliers, ainsi que d’urbanistes, de politiciens et de conseillers en politiques, s’appelle l’Alliance pour un Ontario vivable. Il indique sur sa page d’accueil, comme premier point pour l’avenir qu’il envisage, que « nous accueillons une population croissante accueillie par le biais de partenariats gouvernement/secteur privé/sans but lucratif/coopératif/caritatif qui construisent des logements abordables et mixtes situés dans des communautés qui offrent une variété d’options de transport. » Leurs quatre points restants sont une liste de souhaits énoncés comme des faits. Ils qualifient même les gouvernements provinciaux et municipaux de « vrais partenaires, » bien que les premiers aient adopté des projets de loi qui leur font un mauvais camouflet.

Les illusions d’une croissance durable et permanente ne se limitent pas à l’Ontario. Dans un chef-d’œuvre de dissonance orwellienne, la ville d’Edmonton affirme que nous pouvons être « plus verts à mesure que nous grandissons« . Croître pour combien de temps dans le futur? Jusqu’à ce que le Canada atteigne la population de 100 millions d’habitants que l’Initiative du siècle promeut? En réalité, les villes canadiennes en croissance ne deviennent pas plus vertes. Même si les Canadiens étaient tous densément entassés dans les villes, cela n’éliminerait pas leur empreinte écologique. Ils auraient encore besoin de nourriture et d’énergie. Même si elle est densément peuplée, la population croissante du Canada mine sa sécurité alimentaire et ses ressources.

Certains groupes de défense de l’environnement, de conservation et de lutte contre l’étalement urbain reçoivent des fonds publics. Il ne fait aucun doute qu’ils ne veulent pas mordre la main qui les nourrit. Mais il semble aujourd’hui que certains d’entre eux, au moins, soient passés du silence sur la croissance à sa célébration. Lorsque des groupes prétendument verts présentent comme un principe fondateur (« Nous accueillons une population croissante… ») la chose même qui détruit ce qu’ils veulent préserver (qu’ils le reconnaissent ou non), ils sont véritablement l’opposition capturée. Ils sont les promoteurs verts de la croissance.

Les chiens écologistes aboient peut-être contre la caravane de la croissance, mais ils frétillent aussi de la queue. Les passagers de cette caravane, les spéculateurs, les promoteurs, les banquiers et les entreprises de main-d’œuvre bon marché savent qu’ils n’ont rien à craindre.

Photo par Sidhick Kannur: Pexels
 

Quelqu’un se soucie-t-il de ce que veulent les Canadiens ?

Il est clair que la densification n’est pas ce que veulent les Canadiens. Les résidents de longue date de Toronto quittent la ville à un rythme record, alors même que les immigrants arrivent et font plus que combler le vide. Les acheteurs d’une première maison, selon les termes de la Banque de Montréal, « fuient vers les banlieues. » Il semble que le fait d’être entassé comme des sardines ne soit pas le genre de vie auquel aspirent les Canadiens. Néanmoins, c’est le genre de vie que des groupes prétendument environnementaux comme Environmental Defence (peut-être mieux nommé Development Defenceexhortent les Canadiens à embrasser, tout en favorisant la croissance même qui les pousse à quitter les villes hypertrophiées.

Plus une population est dense, moins les individus qui la composent ont de liberté et de temps. Les gens passent plus de temps coincés dans les embouteillages, à patienter aux feux rouges et à attendre des rendez-vous et des services. Les possibilités d’échapper à la foule sont réduites si la nature est à une heure de route.

Alors que les villes canadiennes s’agrandissent malgré le faible taux de fécondité du pays, les villes 15 minutes sont présentées comme le nirvana de la durabilité. Mais l’idéal de la ville 15 minutes que promeuvent les pouvoirs en place pourrait-il devenir une réalité dystopique? La liberté de choisir comment et où vivre sera-t-elle fortement réduite? Les déplacements pourraient-ils être limités? Devrez-vous obtenir une autorisation pour quitter la région qui vous est attribuée? Vos déplacements et votre empreinte carbone seront-ils suivis et contrôlés par le biais d’une monnaie numérique non optionnelle? Jusqu’à présent, ces horreurs relèvent de la science-fiction (au moins dans ce pays), mais si nous continuons à nous prosterner devant le Dieu de la croissance, elles ne sont pas inimaginables.

Image par 15minutecity.com
 

Les politiques d’immigration du gouvernement du Canada, qui favorisent la croissance, ne servent pas le peuple canadien. Elles servent les intérêts des entreprises qui profitent de la croissance. Il est honteux que les organisations environnementales canadiennes se soient permises de devenir les complices de ces politiques.

Madeline Weld, Ph.D.
Présidente, Institut canadien de la population
Tél.: (613) 833-3668
Courriel: [email protected]
www.populationinstitutecanada.ca