Le bon navire Canada à 40 millions d’habitants: Où allons-nous?

Unsplash en collaboration avec Getty Images

Le Canada franchit une étape majeure: son taux de croissance annuel dépasse désormais celui de l’Afrique

Félicitations, Canada! Le 16 juin, juste à temps pour la fête du Canada, vous avez atteint une population de 40 millions d’habitants. Ce n’est pas un mince exploit pour un pays dont l’indice synthétique de fécondité est de 1,4 enfant par femme et se situe en dessous du seuil de remplacement de 2,1 depuis 1971, alors que sa population était inférieure à 22 millions d’habitants, et ce alors que l’âge maternel à l’accouchement ne cesse d’augmenter. On aurait pu s’attendre à une population bien inférieure à 30 millions d’habitants.

Le taux de croissance démographique du Canada laisse le reste des pays du G7 dans la poussière et dépasse même maintenant celui de la plupart des pays en développement. Les taux de fécondité totaux de nombreux pays à revenu moyen ou faible ont chuté ou chutent rapidement vers le niveau de remplacement et leurs taux de croissance annuels font de même; ces derniers sont encore principalement alimentés par l’élan démographique d’un pourcentage élevé de jeunes.

Le Canada, quant à lui, va dans la direction opposée. En 2022, plus d’un million de personnes – résidents permanents et non permanents – sont entrées au Canada et l’immigration a représenté 95,9 % de la croissance démographique du pays cette année-là. Le Canada se classe ainsi parmi les vingt premiers pays pour le taux de croissance annuel; la quasi-totalité des pays qui l’ont « surclassé » se trouve en Afrique. En fait, le taux de croissance annuel de 2,7 % du Canada en 2022 dépasse le taux de croissance moyen de 2,4 % de l’Afrique. La moyenne mondiale est de 0,88 %.

Comme l’a dit un commentateur du gazouillis de l’ICP sur l’atteinte des 40 millions, « Bravo! Le statut de pays du tiers monde est à notre portée! »

Le taux de fécondité du Canada s’effondre alors que sa population augmente

Hormis un léger bond de la fécondité d’environ un enfant par femme pendant le baby-boom de l’après-guerre, du milieu des années 40 au milieu des années 60, l’indice synthétique de fécondité du Canada n’a cessé de baisser depuis 1860, passant de près de six enfants par femme à environ 1,4 aujourd’hui. En revanche, il croît à un rythme digne du tiers monde en raison de sa politique de forte immigration. Les graphiques ci-dessous montrent les directions opposées de l’indice de fécondité et de la croissance démographique du Canada.

Source: Statista
Extrait de la Canadian Encyclopedia

Une devise pour promouvoir des objectifs politiques: « Nous sommes une terre d’immigrants »

Alors que le gouvernement et les médias informent fréquemment les Canadiens que leur pays est une terre d’immigrants, la réalité est que, pendant la plus grande partie de son histoire, la croissance démographique du Canada a été principalement due à l’accroissement naturel. Cette situation n’a commencé à changer qu’en 1990, lorsque le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney a lancé une politique visant à faire venir un quart de million de personnes chaque année, quelles que soient les conditions économiques. Cette politique d’immigration de masse a été suivie par tous les gouvernements, conservateurs ou libéraux, depuis lors. Elle a été intensifiée sous le gouvernement libéral de Justin Trudeau en 2017, avec des objectifs encore plus élevés annoncés en novembre 2022, bien qu’en réalité tous les objectifs aient été dépassés par le nombre record de nouveaux arrivants qui sont entrés cette année-là.

Le graphique ci-dessous montre le pourcentage de croissance de la population entre les recensements décennaux de 1851 à 2011, avec des projections jusqu’en 2046. Les barres vertes indiquent la contribution en pourcentage de la fécondité naturelle à la croissance. Les barres bleues indiquent la contribution de l’immigration. Il est à noter que dans cinq recensements (1861, 1871, 1881, 1891 et 1931), l’immigration a contribué négativement à la croissance (c’est-à-dire que plus de personnes ont quitté le Canada qu’elles n’y ont immigré). La barre bleu pâle du recensement de 1951 représente la contribution ponctuelle à la population du Canada de l’adhésion de Terre-Neuve au Dominion en 1949.

Source: The Economic LongWave/Stats Can
Il est intéressant de noter que le message selon lequel « le Canada est une terre d’immigrants » n’est devenu omniprésent qu’après que le gouvernement a lancé sa politique d’immigration massive. Cette baby-boomer vieillissante ne se souvient pas qu’il ait été promu sans relâche avant les années 1990. Aujourd’hui, les Canadiens reçoivent ce message ouvertement à la radio, à la télévision et même sur les panneaux d’affichage, mais aussi indirectement sous la forme d’un thème incorporé dans les publicités et les publireportages.

J’ai pris la photo ci-dessous à l’aéroport international Pearson de Toronto le 19 juin 2019. Elle faisait partie d’une série d’images stylisées d’immigrants récents, entrecoupées d’autres publicités, sur un panneau d’affichage électronique dans une salle d’attente.

Source: Madeline Weld

Les politiques incohérentes du Canada en bref

Le gouvernement Trudeau poursuit simultanément deux objectifs contradictoires. Ils peuvent être résumés comme suit:

Objectif 1: réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. En mars 2022, le ministre de l’Environnement Steven Guilbeault a annoncé que le gouvernement souhaitait une réduction de 42% des émissions du secteur pétrolier et gazier d’ici 2030 et qu’il dépenserait 9,1 milliards de dollars canadiens supplémentaires pour atteindre cet objectif. Le gouvernement fait également pression sur les agriculteurs pour qu’ils réduisent les émissions dues à l’utilisation d’engrais de 30% par rapport aux niveaux de 2020 d’ici à 2030, alors même que la croissance démographique réduit rapidement la quantité de terres agricoles de qualité. Lors de la campagne électorale de 2021, M. Trudeau a fixé un objectif d’émissions nettes nulles d’ici à 2050. Un rapport de la Banque Royale du Canada a estimé le coût global de la réalisation de cet objectif à deux mille milliards de dollars pour le gouvernement et les entreprises.

Objectif 2: augmenter la population pour maintenir la croissance de l’économie. Le Canada utilise la croissance démographique comme un outil dans son objectif malavisé d’augmenter la taille globale de l’économie. C’est ennuyeux, mais le Canada est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre par habitant au monde. L’affirmation selon laquelle la densification empêchera l’étalement urbain et que l’efficacité accrue des transports et de l’utilisation de l’énergie compensera la croissance démographique en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre n’a pas encore été étayée.

La réalité est que la croissance démographique du Canada crée une crise du logement sans précédent et réduit sa capacité à se nourrir, tout en augmentant les émissions de gaz à effet de serre. Entre 1990 et 2019, la population du Canada a augmenté de 9,9 millions de personnes. Au cours de cette période, ses émissions annuelles de GES ont augmenté d’environ 130 Mt d’équivalent CO2, bien que ses émissions par habitant soient restées sensiblement les mêmes (après avoir atteint un pic plus tôt dans les années 2000).

L’augmentation des émissions est due à la croissance démographique. Une étude américaine publiée en 2008 a montré que le nouvel arrivant moyen aux États-Unis multipliait par quatre ses émissions de GES. John Meyer, président de Canadians for a Sustainable Society, a effectué des calculs similaires pour le Canada en 2015 et a obtenu un facteur de 4,2 (communication personnelle).

Est-il possible que ni le premier ministre ni aucun membre de son cabinet n’ait remarqué que le second objectif, à savoir l’augmentation rapide de la population, rend le premier, à savoir la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, impossible à atteindre, en plus de créer de nombreux autres problèmes? Quelles restrictions et quelles taxes seront imposées aux Canadiens à mesure que la population du pays augmente pendant que le gouvernement sévit contre la production de gaz à effet de serre?

Les réalités biophysiques l’emportent sur la rhétorique verte en matière d’émissions de GES

Le Canada a de bonnes raisons d’être un leader mondial en matière d’émissions de GES. Son climat est froid et les marchandises et les personnes parcourent de longues distances. Le chauffage et les transports sont parmi les secteurs les plus consommateurs de combustibles fossiles. Le boom démographique du Canada entraîne une construction massive et l’industrie de la construction ainsi que l’exploitation des bâtiments consomment beaucoup d’énergie. Chaque nouvel arrivant au Canada, même si on l’entasse dans une ville de 15 minutes, contribuera à ses émissions. L’installation des nouveaux arrivants dans nos « grands espaces » inhabités n’est pas non plus une solution, même si elle était réalisable. Ils auraient besoin de combustible pour se réchauffer et de nourriture pour se nourrir, et ces deux éléments devraient être transportés, presque certainement à l’aide de combustibles fossiles. Les véhicules électriques perdent rapidement de l’autonomie par temps froid.

Katherine McCormack, Unsplash
Le bilan du Canada en matière de réduction des émissions de GES n’est pas encore à la hauteur de ses discours. Il est le seul pays du G7 dont les émissions ont augmenté entre 2015 (année de l’arrivée au pouvoir de M. Trudeau) et 2019. Naturellement, M. Trudeau a rejeté la faute sur le précédent gouvernement conservateur qui, en 2011, s’est retiré du protocole de Kyoto, précurseur de l’accord de Paris de 2015. M. Trudeau a également affirmé que quatre années de scepticisme américain à l’égard du changement climatique, sous la présidence de Donald Trump, ont freiné le Canada. C’est amusant, car la principale cause de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis et au Canada est la croissance démographique. Mais les États-Unis ont réduit l’immigration, en particulier l’immigration illégale, sous Trump (vous vous souvenez de la politique Remain in Mexico?), tandis que le Canada a poursuivi une immigration légale toujours plus importante et a ignoré le trou béant de Roxham Road par lequel près de 100 000 personnes sont entrées illégalement au Canada. Par conséquent, entre 2016 et 2019, les émissions totales sous Trump n’ont augmenté que de 0,6%, tandis que les émissions du Canada sous Trudeau ont augmenté de 3,4%.

L’Initiative du siècle: le capitaine caché du bon navire qu’est le Canada?

Le paradigme économique moderne est basé sur la croissance. Une croissance du PIB est l’indicateur d’une économie prospère, et le PIB augmentera en même temps que la population, à moins que le niveau de vie ne baisse. Mais un PIB qui augmente simplement parce que la population augmente n’accroît pas la richesse par habitant ni le bien-être général. Néanmoins, l’immigration a été utilisée comme un outil pour stimuler la croissance démographique au Canada pendant plus de trois décennies. Non seulement cela n’a pas augmenté le PIB par habitant, mais cela a creusé le fossé entre les riches et les pauvres, et ceux qui luttent pour joindre les deux bouts constituent une part de plus en plus importante de la population. Les niveaux d’immigration actuels ont créé une pénurie artificielle de logements et ont fait grimper les prix de l’immobilier au-delà de la portée des travailleurs canadiens. Les municipalités sont contraintes de densifier et les gens paient des prix exorbitants pour vivre dans des poulaillers. Les terres agricoles et les habitats naturels disparaissent au profit de l’urbanisation, qui menace également les ressources en eau.

Cependant, les Canadiens qui ne sont pas d’accord avec la politique d’immigration de masse de leur gouvernement, que ce soit pour des raisons économiques, sociales ou environnementales, courent le risque d’être qualifiés d’anti-immigrés, de populistes ou de xénophobes. Cela a eu pour effet d’étouffer un débat public raisonné sur l’immigration au Canada, qui a servi les intérêts des profiteurs de la croissance, mais pas ceux des travailleurs canadiens.

Qui bat le tambour au rythme de la politique démographique (d’immigration) du Canada? Il devient de plus en plus évident que le gouvernement fédéral suit le scénario de l’Initiative du siècle. L’IS a été fondée en 2011 par Dominic Barton et Mark Wiseman dans le but de promouvoir une population canadienne de 100 millions d’habitants d’ici 2100. Barton a travaillé pendant 33 ans pour McKinsey & Company avant de quitter son poste d’associé principal en juillet 2018. Le mois suivant, McKinsey a décroché un contrat lucratif avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.  Au moment de la fondation de l’IS, Wiseman était directeur général principal chez BlackRock et président de sa division des investissements alternatifs, qui comprenait des investissements dans l’immobilier. Il est actuellement président de l’Alberta Investment Management Corporation.

Edgar Chapparo, Unsplash
En décembre 2015, deux mois après l’élection de M. Trudeau au poste de premier ministre, son gouvernement a créé le Conseil consultatif sur la croissance économique. Les deux fondateurs de l’Initiative du siècle ont siégé à son conseil d’administration, et Barton en a été nommé président en février 2016. Le premier rapport du Conseil consultatif a été publié en octobre 2016 et préconisait d’augmenter massivement les niveaux d’immigration à 450 000 par an. Les rapports suivants ont tous véhiculé le même message, qui, sans surprise, s’alignait parfaitement sur l’objectif de l’Initiative du siècle.

Le troisième et dernier rapport du Conseil consultatif sur la croissance économique a été publié le 1er décembre 2017, deux mois après que le ministre de l’Immigration de l’époque, Ahmed Hussen, a annoncé une « nouvelle normalité » d’au moins 300 000 immigrants par an. La nouvelle normalité du ministre de l’immigration actuel, Sean Fraser, annoncée en novembre 2022, devait atteindre 500 000 immigrants par an d’ici 2025. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, le nombre réel de nouveaux arrivants en 2022 était deux fois plus élevé.

En ce qui concerne les objectifs de l’Initiative du siècle, le gouvernement est en passe de « dépasser les attentes. » Mais de qui s’attend-il à recevoir une Étoile d’or?

Un pays postnational n’a pas besoin de citoyens

La croissance démographique du Canada par le biais de l’immigration produit des gagnants et des perdants évidents. Les perdants sont la plupart des travailleurs canadiens, y compris ceux qui ont immigré ici en quête d’une vie meilleure, et qui sont nombreux à avoir des difficultés malgré un niveau d’éducation élevé. L’environnement, les terres agricoles et la biodiversité sont également perdants. Les gagnants sont les spéculateurs, les promoteurs, les fournisseurs de prêts hypothécaires et certaines entreprises, ainsi que les hommes politiques. Mais les profiteurs actuels de la croissance auront disparu depuis longtemps d’ici 2100. Alors pourquoi cet objectif de 100 millions d’habitants à cette date? Des objectifs sont-ils même fixés au Canada ou existe-t-il un plan supranational?

Ces questions peuvent sembler relever du discours conspirationniste pour certains, mais à ce stade, il semble raisonnable d’être ouvert à toutes les possibilités en essayant de relier les points. En 2015, Justin Trudeau a déclaré au New York Times que le Canada était le premier « état postnational » sans « identité centrale » ni « courant dominant. »  Est-ce en fait ce qu’il aspire à créer? Trudeau, de nombreux membres de son cabinet et les deux fondateurs de l’Initiative du siècle sont liés au Forum économique mondial, qui promeut la mondialisation dans les sphères de l’économie et de la gouvernance. Il n’y a rien que le FEM et les entreprises internationales souhaitent plus que la libre circulation des biens, de la main-d’œuvre et de l’argent. Les citoyens ayant des attaches nationales sont un obstacle à la création de cette utopie commerciale de consommateurs sans racines. Et comment peut-on s’attacher à un pays postnational dépourvu d’identité fondamentale?

Quelle que soit la réalité, les Canadiens doivent commencer à s’interroger sur les raisons pour lesquelles leur pays est orienté vers une destination de 100 millions d’habitants qui ne leur apporte aucun avantage évident et les accable de nombreux coûts évidents.

Randy Laybourne, Unsplash
Madeline Weld, Ph.D.
Présidente, Institut canadien de la population
Tél.: (613) 833-3668
Courriel: [email protected]
www.populationinstitutecanada.ca