PDMC : l’esprit de clocher égoïste ou l’intérêt personnel rationnel?

Le terme « PDMC » (Pas Dans Ma Cour) fait référence à l’opposition des résidents locaux à tout nouveau projet d’infrastructure, comme un ensemble résidentiel, un foyer de groupe ou un incinérateur proposé pour leur quartier. Comme l’écrit Robert Lake dans un article de 1993, Rethinking NIMBY, le PDMC est généralement considéré comme un « esprit de clocher égoïste » qui « génère un conflit de localisation qui empêche l’atteinte des objectifs sociétaux » et « est blâmé pour pratiquement tous nos échecs à résoudre des problèmes sociaux urgents ».

Mais, soutient Lake, plutôt que d’être dénigré comme une réaction instinctive égoïste, le PDMC devrait être considéré dans le contexte d’un conflit inhérent entre le capital et la communauté. Le capital cherche à investir dans l’infrastructure qui nécessite l’aménagement de terrains alors que les collectivités ont un intérêt dans leurs propres quartiers, qui sont rarement améliorés par de nouveaux développements. Le courant PDMC en tant qu’« expression des besoins et des craintes des gens » n’est « ni plus ni moins rationnel et légitime que le mécanisme du marché et la rentabilité du capital », dit-il.

Avec la croissance rapide de la population entraînée par l’augmentation radicale des niveaux d’immigration des dernières années, une grande partie du courant PDMC actuel est dirigée vers la densification des quartiers provoquée par les changements de zonage, le logement intercalaire et le développement des boisés voisins. Les désirs des résidents de la communauté, qui peuvent avoir déménagé dans une région spécifiquement pour sa faible densité, entrent en conflit avec ceux des promoteurs, des spéculateurs, des fournisseurs de prêts hypothécaires et de certains intérêts commerciaux qui profitent de la croissance démographique et de la densification concomitante.

La coercition fonctionne, mais l’optique est mauvaise

Les provinces doivent composer avec la croissance rapide de la population découlant de la politique d’immigration du gouvernement fédéral, et elles forcent à leur tour les municipalités à élaborer des plans pour s’adapter à cette croissance. Pour la plupart, les municipalités acceptent docilement cette croissance même si ce n’est clairement pas ce que leurs résidents veulent, comme le montre un sondage auprès des résidents d’Orillia, en Ontario, contenu dans le plan stratégique 2019-20 de cette ville. Un sondage de 2023 commandé par Canadians for a Sustainable Society a révélé que les résidents d’Orillia ne sont pas seuls : les Canadiens ne demandent pas le développement rapide que la croissance impose à leurs communautés, mais la sécurité, l’égalité et l’accès à la nature.

Le niveau d’immigration sans précédent que le gouvernement Trudeau a imposé au Canada, qui a attiré plus d’un million de nouveaux arrivants en 2022 et en 2023, a anéanti même la planification municipale conforme à la croissance. En novembre 2023, le maire de Langley, en Colombie-Britannique, Eric Woodward, a déploré que le projet de loi sur le logement du gouvernement provincial « sape 10 ans d’urbanisme ».

Pour faire face à la résistance potentielle des municipalités aux objectifs de croissance imposés, certaines provinces, notamment l’Ontario où s’installent près de la moitié des nouveaux arrivants, ont mis en œuvre des mesures sévères qui permettent au gouvernement provincial d’écarter les réglementations municipales en matière de zonage et de protection des terres. Parmi les projets de loi du premier ministre Doug Ford visant à accroître le pouvoir et à promouvoir la croissance, on peut citer le projet de Loi 257 (qui donne au ministre des Affaires municipales le pouvoir presque illimité d’accélérer le développement, y compris sur des terres protégées), le projet de Loi 23 (qui réduit ou élimine les frais facturés aux promoteurs, laissant aux contribuables municipaux le soin de payer la facture des infrastructures nécessaires aux nouveaux développements) et le projet de Loi 39 (qui affaiblit la protection des terres agricoles et donne aux maires des grandes villes le pouvoir de modifier les règlements avec le soutien d’un tiers seulement des membres du conseil municipal). (J’ai déjà discuté de la législation autoritaire de Ford iciici, et ici.

Transformer des terres agricoles en logements. (Qui a besoin de manger, de toute façon?) Photo : Madeline Weld

 

 

S’inspirant de l’exemple de Ford, le premier ministre de la Colombie-Britannique, David Eby, a imposé de nouvelles règles de zonage à toutes les municipalités de plus de 5 000 habitants. Son projet de Loi 44 autorise la construction de blocs de quatre ou de six logis sur tous les terrains précédemment zonés pour maisons individuelles ou duplex et interdit aux municipalités d’exiger des stationnements hors rue pour les logements multifamiliaux. Comme le fait remarquer Riley Donovan, un projet de loi aussi draconien ne tient pas compte de certaines conséquences tout à fait prévisibles, comme la manière dont les municipalités fourniront l’infrastructure nécessaire pour faire face à l’augmentation potentielle de la croissance, et il sape des années de planification municipale.

Le maire de Langley, M. Woodward, n’est pas le seul à exprimer sa consternation. M. Donovan rapporte qu’il s’est entretenu avec le maire Sid Tobias de View Royal, une ville de moins de 12 000 habitants située dans le Grand Victoria, qui a déclaré que ni lui, ni le conseil municipal, ni le personnel de la ville n’avaient été consultés sur la législation provinciale en matière de logement, mais qu’ils avaient reçu des « informations techniques » et n’avaient eu que peu de temps pour poser des questions ou faire part de leurs commentaires.

Si la coercition fonctionne, elle a aussi ses inconvénients. Outre le fait qu’elle est mal perçue, elle peut entraîner une forte réaction, comme celle qui a contraint Doug Ford, en Ontario, à abandonner ses projets de développement dans la ceinture verte du Golden Horseshoe, dans la région du Grand Toronto (RGT).

Arrive l’ODMC pour combattre le PDMC

Alors que les effets négatifs de la croissance sur la qualité de vie des travailleurs ordinaires deviennent de plus en plus évidents, la persuasion psychologique est mise en œuvre pour amener les gens à accepter la densification qui va à l’encontre de leurs propres intérêts. L’ODMC (Oui Dans Ma Cour), est une contre-attaque dialectique directe au PDMC (Pas Dans Ma Cour). L’ODMC prône comme une vertu non seulement l’acceptation, mais aussi l’accueil actif de la densification de son quartier pour le plus grand bien de tous. Il va de pair avec la propagande gouvernementale de longue date qui promeut l’immigration de masse comme essentielle à la prospérité du Canada. Les profiteurs de l’immigration de masse et de la croissance démographique sont, sans surprise, de grands promoteurs de l’ODMC.

Selon Wikipédia (consulté le 27 février 2024), l’ODMC a été utilisé pour la première fois en 1993 dans un « commentaire » du Journal of the American Planning Association (Vol. 59, Issue 1) qui introduisait une série de trois articles, le premier étant celui de Robert Lake cité plus haut. Le titre du commentaire était « Planners’ Alchemy Transforming NIMBY to YIMBY » (L’alchimie des urbanistes transformant le PDMC en ODMC). L’alchimie, ancêtre médiéval de la chimie, était la quête de transformer des métaux communs de faible valeur en métaux précieux de grande valeur, notamment le plomb en or. Pour les promoteurs et autres personnes qui profitent de la croissance, cette « alchimie des urbanistes » transformerait le « plomb » de la résistance du PDMC, qui entraîne des retards, des tracas procéduraux et des coûts supplémentaires, en « or » de l’ODMC, en vertu duquel les quartiers non seulement acceptent, mais même accueillent favorablement le développement pour ce qu’ils ont été amenés à croire être le plus grand bien.

                    Loren Cutler sur Unsplash
 

Mais bien sûr, ce n’est pas vraiment pour le bien de tous. En effet, du point de vue de la collectivité, l’ODMC consiste à accepter l’« alchimie inversée » qui consiste à transformer des quartiers à faible densité et plus agréables à vivre en quartiers à plus forte densité, souvent plus bruyants et plus pollués, et avec moins d’accès à la nature. Pour cela, ils ne reçoivent aucun des bénéfices du développement, mais supportent souvent la plupart des coûts sous la forme de taxes municipales plus élevées pour payer les infrastructures et les services supplémentaires nécessaires, tels que la cueillette des ordures, les trottoirs, les conduites d’eau, les égouts et les collecteurs d’eaux pluviales.

Ce qui soulève la question suivante : est-il légitime de qualifier l’ODMC de PSYOP?

L’ODMC : une psyop contre l’opposition à la croissance ?

Psyop est l’abréviation de psychological operation (opération psychologique) qui, selon dictionary.com, est un autre terme pour désigner la guerre psychologique, définie comme suit : « l’utilisation de la propagande, des menaces et d’autres techniques psychologiques pour tromper, intimider, démoraliser ou influencer de toute autre manière la pensée ou le comportement d’un adversaire ».

Cette définition peut-elle s’appliquer à l’ODMC ? Vérifions dans quelle mesure elle s’applique.

Propagande, menaces et techniques psychologiques

Plusieurs organisations au Canada font la promotion de l’ODMC, qui peut être considéré comme un mouvementMore Neighbours Toronto encourage les gens à utiliser son outil en ligne pour demander à leur député provincial de mettre fin au zonage d’exclusion. More Neighbours Toronto fait partie d’une organisation plus large appelée More Homes Canada, qui compte au moins 12 groupes (notamment à Victoria, Vancouver, Calgary, Edmonton, Winnipeg, Toronto, Ottawa, Montréal et Halifax) qui incitent les résidents locaux à s’engager dans l’activisme politique pour permettre la croissance, en exigeant par exemple des changements de zonage qui permettent une plus grande densité et des bâtiments plus hauts. L’Alliance for a Liveable Ontario « accueille une population croissante » qui, selon elle, peut être prise en charge par toutes les méthodes habituelles qui ont jusqu’à présent échoué de manière spectaculaire à stopper l’étalement urbain.

Même les partis et les organisations dont l’objectif prétendu est la protection de l’environnement ont sauté dans le train de la croissance. Mike Schreiner, député et chef du parti prétendument vert de l’Ontario, fait la promotion de l’ODMC en utilisant des mots à la mode tels que « légaliser le logement » (voir ci-dessous).  En 2023, Schreiner a présenté deux projets de loi d’initiative parlementaire (projets de Loi 44 et 45) visant à densifier les quartiers sans que les résidents aient la possibilité de faire appel. La prétendue organisation environnementale Environmental Defence demande aux gens de « lutter contre l’étalement urbain en soutenant l’approbation d’un plus grand nombre de logements dans leur quartier » et « d’exiger de leur gouvernement municipal qu’il mette fin au zonage d’exclusion ».

S’il serait exagéré de dire que l’ODMC a recours à des menaces, il est clair qu’il utilise la propagande et des techniques psychologiques pour promouvoir les intérêts des promoteurs de la croissance. Les tentatives visant à faire honte aux opposants à la croissance, comme nous le verrons plus loin, font également appel à la psychologie.

Tromper

Tromper signifie induire en erreur ou donner une idée erronée. On peut affirmer que le terme même « ODMC » est conçu pour tromper. Il présente quelque chose (la densification et le développement) qui est en fait préjudiciable à la cible visée (les personnes qui vivent dans les quartiers sur le point d’être densifiés) comme une bonne chose sur le plan social, alors qu’en fait les bénéfices (profits) vont presque entièrement à d’autres (promoteurs, spéculateurs, fournisseurs de prêts hypothécaires, certaines entreprises). Et elle évite totalement de remettre en question le moteur de la croissance non désirée : les niveaux d’immigration extraordinairement élevés fixés par le gouvernement fédéral.

La terminologie peut également être utilisée pour tromper. En octobre 2023, le ministre du Logement (et ancien ministre de l’Immigration) Sean Fraser a utilisé l’expression absurde « légaliser le logement » alors qu’il se trouvait à Kelowna, en Colombie-Britannique. Le logement est évidemment légal, mais dans le jargon des partisans de la croissance, « légaliser le logement » est une belle façon de dire que les réglementations municipales en matière de zonage peuvent être supprimées, sans possibilité d’appel, pour permettre la densification induite par les politiques d’immigration inconsidérées du gouvernement fédéral.

Intimider (ou peut-être simplement faire honte en tant qu’outil psychologique)

Le mouvement ODMC ne pratique pas carrément l’intimidation (pour autant que je sache), mais l’humiliation est définitivement un de ses outils, comme le montre le mème pro-ODMC ci-dessous:

Image tirée du compte X (Twitter) du promoteur ODMC Michael Wiebe (@michael_wiebe), publiée le 21 janvier 2024 et traduite en français
 

Le tabou qui a longtemps pesé (mais qui a récemment été brisé) sur la remise en question des niveaux élevés d’immigration reposait sur l’hypothèse implicite que ceux qui contestaient les politiques d’immigration étaient racistes et xénophobes. On pourrait dire qu’il s’agit d’une forme d’intimidation psychologique. En août 2023, alors même qu’il déclarait sa détermination à ne pas réduire les objectifs en matière d’immigration, le nouveau ministre de l’Immigration, Marc Miller, a tenté de faire honte aux Canadiens qui s’opposaient à la politique de son gouvernement :

« Dans chaque vague de migration que le Canada a connue, une partie de la population a reproché aux immigrés de prendre des maisons, des emplois, et j’en passe. Ce sont ces personnes qui n’ont pas nécessairement à cœur l’intérêt des immigrants et nous devons les dénoncer quand nous les voyons et nous n’hésiterons pas à le faire ».

L’Initiative du siècle est un groupe de pression fondé en 2011 dont l’objectif est de porter la population du Canada à 100 millions d’habitants d’ici 2100 et dont les intérêts s’alignent clairement sur ceux qui profitent de la croissance. Sur son site web, concernant l’immigration, elle pose la question suivante : « De quel côté de l’histoire le Canada sera-t-il? ». L’énoncé qui suit immédiatement cette question est le suivant : « À l’échelle mondiale, nous assistons à une montée du nationalisme, du populisme et du sentiments anti-immigrés », qualifiant indirectement ceux qui pourraient s’opposer à ses objectifs de honteux, de nationalistes, de populistes et de xénophobes.

Capture d’écran de centuryinitiative.ca le 13 mars 2024
 

Démoraliser

Il est certainement démoralisant de perdre le droit d’avoir son mot à dire sur ce qui arrive à son voisinage et de perdre le droit de faire appel d’une décision. Le projet de Loi 23 de l’Ontario limite grandement la capacité des résidents de porter en appel des décisions en matière de densification. Les projets de loi d’initiative parlementaire présentés par le chef du Parti vert de l’Ontario, Mike Shreiner, font de même. En avril 2023, le ministre du Logement de la Colombie-Britannique, Ravi Kahlon, a fait savoir que le plan de logement de sa province viserait à mettre fin à la promotion du PDMC.

Peut-être devrions-nous demander aux maires britanno-columbiens Eric Woodward et Sid Tobias à quel point il est démoralisant pour les municipalités de passer des années à élaborer des plans, basés sur la croissance prévue, pour voir ces plans rejetés parce que l’accélération massive de la croissance les avait rendus inutiles?

L’ODMC favorise l’écrasement des droits des résidents à avoir leur mot à dire dans le développement de leurs quartiers. Tout cela pour le plus grand bien, bien sûr.

Influencer d’autre manière

Le mouvement ODMC présente la croissance comme inévitable. Il ne remet pas en question les politiques qui l’alimentent. Pour prévenir l’étalement urbain et protéger les terres agricoles, il exhorte les résidents à accepter n’importe quelle quantité de croissance qu’ils n’ont jamais demandée. Ils devraient faire leur part pour sauver l’environnement en permettant la construction dans tout espace vert qu’il reste dans leurs propres quartiers.

À mon avis, l’ODMC est un psyop culturel.

Reconnaître l’ODMC pour l’escroquerie qu’il est

Aux taux actuels d’immigration, le Canada atteindra et même dépassera l’objectif de 100 millions de l’Initiative du siècle d’ici 2100. Il s’agit d’une cible arbitraire qui n’a aucun lien avec le bien-être des Canadiens. En fait, deux économistes de la Banque Nationale du Canada écrivent que les niveaux d’immigration hors de contrôle du Canada l’ont placé dans un « piège démographique », où la croissance démographique dépasse la croissance du PIB, appauvrissant essentiellement les Canadiens. En plus de créer une crise du logement, cette croissance effrénée entraîne une pression accrue sur les services sociaux, en particulier les soins de santé.

 

Bien que le gouvernement n’ait pas encore fourni de raisons valables pour mener l’immigration à des niveaux extrêmes, les partis d’opposition représentés au parlement se sont abstenus de remettre en question cette politique ; ils ne feront que critiquer l’incapacité du gouvernement à construire des logements à un rythme qui n’a jamais été atteint auparavant et qui est probablement impossible à atteindre.

Le mouvement ODMC sert les profiteurs de la croissance en promouvant le mensonge selon lequel la croissance continue est durable et peut être contenue dans certaines limites si votre communauté peut être densifiée et les espaces verts de votre quartier remplis. Ce sont les PDMC qui sont le problème, pas la croissance.

L’acquiescement des groupes environnementaux à cette fiction est troublant, mais est probablement le reflet du fait que beaucoup ont dans une certaine mesure été transmués en organisations de justice sociale. Il en va de même pour les partis politiques qui prétendent être verts. Avec autant de gens qui ont besoin d’un logement, qu’est-ce qui vous donne droit à un quartier avec du caractère et des espaces verts? Quel que soit leur raisonnement, les groupes environnementaux qui font la promotion du ODMC se sont transformés en outils utiles pour les profiteurs de la croissance.

Personne ne devrait se faire d’illusions sur le fait que l’ODMC concerne la protection de l’environnement – tout est question de faciliter la croissance. Quand une décision doit être prise et que la croissance ne peut plus être contenue avec la densification et le logement intercalaire, les zones protégées seront mises à mal. Le premier ministre Doug Ford a démontré à quel point les lois sur la protection de l’environnement ne signifient pas grand-chose face à une croissance incessante.